mardi, 22 décembre 2020
#Itineraires
ITINERAIRES #3 La capacité à donner du sens
Entretien avec Patrick Bellity, Président de SIFA technologie, Ancien PDG du groupe Arche, passionné de fonderie et d’automobiles.
1. Comment pourriez-vous décrire la capacité à donner du sens ?
En tant que dirigeant, je me sens responsable du chemin sur lequel j’emmène l’équipe et du sens que je vais donner à l’objectif à atteindre. Instinctivement, je dirai plus facilement « Suivez-moi ! » qu’ « En avant ! ».
Fixer le sens, en extraire un objectif et le transmettre permet de rallier à un niveau plus fort. Si l’objectif est uniquement financier, je gage que le sens ne sera pas partagé.
Il y a quelques années, dans un contexte de reprise d’une fonderie dans le sud de la France, il aurait pu être dit : « Vous êtes une PME en train de mourir. Pour que l’activité soit maintenue, l’objectif fixé par les actionnaires est d’améliorer de 15% la marge d’exploitation, vous en êtes ? »
Il est peu probable qu’un tel discours ait pu transcender quiconque. A l’inverse : « Aujourd’hui, nous sommes une petite PME régionale en danger de fermeture, et personne n’entend parler de notre fonderie. Demain, par l’excellence de notre travail, nous pouvons redresser la barre et devenir un des PME les plus connues en Europe ! » … Je crois qu’il faut partager avec ses salariés le sens d’une mission qui puisse faire battre les cœurs.
2. Pourquoi la capacité à donner du sens vous semble nécessaire dans l’exercice du management ?
Je me souviens avoir visité énormément d’usines et avoir constaté à maintes reprises que les gens ne savent pas ce qu’ils produisent. Dans le meilleur des cas, ils ont une idée approximative et parfois erronée des objets qu’ils fabriquent.
Il me semble pourtant primordial de communiquer l’utilité de chaque tâche et de permettre à tous de visualiser précisément leur impact, leur intervention sur la chaine de production. C’est ainsi que chaque acteur devient responsable de son action dans l’objectif partagé. Dès lors que vous communiquez aux personnes le sens, le « pourquoi » de ce qu’ils fabriquent, l’adhésion est sans faille.
Chez SIFA technologie, nous avons même créé des signalétiques qui montre sur le produit fini ce que l’ouvrier crée à son niveau.
Dans un cas, on fabrique des pièces en métal ; dans l’autre, on contribue à la réalisation d’une Porsche !
3. Par quoi se traduit la capacité à donner du sens dans l’exercice du management ?
Cela se traduit par le partage des grandes idées avec l’ensemble des salariés plutôt que les détails d’une feuille de route. Chaque ouvrier spécialisé connait son métier, sa méthode. Donner une vision, c’est donner l’accès à un objectif transcendé qui va permettre à chacun de se dépasser.
Je disais plus tôt ce que j’ai mis en place dans mon entreprise par la signalétique : c’est un moyen concret. J’ai aussi demandé au Bureau d’étude de venir rencontrer les ouvriers et leur expliquer les projets en cours et ce que serait le produit fini. Les moyens sont nombreux, le sens des choses doit se retrouver partout, savamment dosé, et permettre l’adhésion à chaque instant.
Quant au baromètre c’est simple : l’adhésion on la perçoit dans la poignée de main le matin en disant bonjour aux équipes et dans les regards.
4. Avez-vous une expérience personnelle ou une anecdote liée à la capacité à donner du sens ?
Lors d’une mission de redressement d’une société, il y avait double tâche : redresser la partie opérationnelle, et en parallèle développer le carnet de commande.
Nous travaillions avec RENAULT, nous avions développé un carter d’huile qu’on leur vendait, environ 400 pièces par jour. Il y avait sans cesse des problèmes de qualité, des retours réguliers, etc.
Sur la sellette, je suis allé défendre notre cause auprès du responsable qualité de RENAULT qui nous a laissé 3 mois pour faire nos preuves. Au moindre défaut, nous étions éjectés.
A mon retour, j’ai convoqué l’ensemble du personnel. Je leur ai raconté mon entrevue et l’ultimatum qui nous était posé. Je les ai assurés que si nous parvenions à faire, ensemble, un travail impeccable pendant 3 mois, nous parviendrions à l’objectif que nous nous étions fixés : être une fonderie majeure d’Europe, reconnue pour notre qualité.
Nous l’avons fait. RENAULT est devenu un de nos plus gros clients et la société s’est redressée. Nous avons pris notre destin entre nos mains.
Je suis certain que si je m’étais contenté de rencontrer uniquement le directeur d’usine, le résultat aurait été tout différent. Nous devions tous relever le défi, faire montre de rigueur, de professionnalisme et d’audace !
5. Qu’est-ce que vous choisiriez pour « illustrer » la capacité à donner du sens ?
Je choisirai « Fleur d’aluminium » !
Un jour, je discutais avec un ouvrier de l’atelier de l’utilisation possible des chutes de métal. Nous avons eu l’idée d’en faire des créations et cette fleur est née. Elle incarne à mes yeux le sens de nos métiers…